Théodore de Banville qui écrivait ce qui suit pour Théophile Gautier (sa réponse est un manifeste : L’Art ) :
Quand sa chasse est finie
Le poète oiseleur
Manie
L'outil du ciseleur.
Car il faut qu'il meurtrisse
Pour y graver son pur
Caprice
Un métal au cœur dur.
Pas de travail commode !
Tu prétends comme moi,
Que l'Ode
Garde sa vieille loi,
Et que, brillant et ferme,
Le beau Rythme d'airain
Enferme
L'Idée au front serein.
Les Strophes, nos esclaves,
Ont encore besoin
D'entraves
Pour regarder plus loin.
Les pieds blancs de ces reines
Portent le poids réel
Des chaînes,
Mais leurs yeux voient le ciel.
Et toi, qui nous enseignes
L'amour du vert laurier,
Tu daignes
Être un bon ouvrier.
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Poème de Théophile : L’Art
L'art
Oui, l'oeuvre sort plus belle
D'une forme au travail
Rebelle,
Vers, marbre, onyx, émail.
Point de contraintes fausses !
Mais que pour marcher droit
Tu chausses,
Muse, un cothurne étroit.
Fi du rhythme commode,
Comme un soulier trop grand,
Du mode
Que tout pied quitte et prend !
Statuaire, repousse
L'argile que pétrit
Le pouce
Quand flotte ailleurs l'esprit :
Lutte avec le carrare,
Avec le paros dur
Et rare,
Gardiens du contour pur ;
Emprunte à Syracuse
Son bronze où fermement
S'accuse
Le trait fier et charmant ;
D'une main délicate
Poursuis dans un filon
D'agate
Le profil d'Apollon.
Peintre, fuis l'aquarelle,
Et fixe la couleur
Trop frêle
Au four de l'émailleur.
Fais les sirènes bleues,
Tordant de cent façons
Leurs queues,
Les monstres des blasons ;
Dans son nimbe trilobe
La Vierge et son Jésus,
Le globe
Avec la croix dessus.
Tout passe. - L'art robuste
Seul a l'éternité.
Le buste
Survit à la cité.
Et la médaille austère
Que trouve un laboureur
Sous terre
Révèle un empereur.
Les dieux eux-mêmes meurent,
Mais les vers souverains
Demeurent
Plus forts que les airains.
Sculpte, lime, cisèle ;
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc résistant !