Quelle heure cogne aux membres de la coque
Ce grand coup d’ombre où craque notre sort ?
Quelle puissance impalpable entrechoque
Dans nos agrès des ossements de mort ?
Sur l’avant nu, l’écroulement des trombes
Lave l’odeur de la vie et du vin :
La mer élève et recreuse des tombes,
La même eau creuse et comble le ravin.
Homme hideux, en qui le cœur chavire,
Ivrogne étrange égaré sur la mer
Dont la nausée attachée au navire
Arrache à l’âme un désir de l’enfer,
Homme total, je tremble et je calcule,
Cerveau trop clair, capable du moment
Où, dans un phénomène minuscule,
Le temps se brise ainsi qu’un instrument…
Maudit soit-il le porc qui t’a gréée,
Arche pourrie en qui grouille le lest !
Dans tes fonds noirs, toute chose créée
Bat ton bois mort en dérive vers l’Est…
L’abîme et moi formons une machine
Qui jongle avec des souvenirs épars :
Je vois ma mère et mes tasses de Chine,
La putain grasse au seuil fauve des bars;
Je vois le Christ amarré sur la vergue !…
Il danse à mort, sombrant avec les siens;
Son oeil sanglant m’éclaire cet exergue :
UN GRAND NAVIRE A PÉRI CORPS ET BIENS !…