Dames, dames que j'ay long temps servi
Depuis qu'Amours m'a donné cognoissance,
Et en tous cas vous,loé et chery
Et emploié cuer et corps et puissance,
Et en mes dis de joieuse plaisance
Parlé amoureusement,
Priez pour moy ! Car mon deffinement
Voy aprouchier et le temps de ma biere.
Le treu pairay de mort prochainement
Se de Dieu n'ay secours a vo priere.
Las ! Des que j'oy XIIII ans et demi,
Je me soumis a vostre obéissance.
Si devriez avoir pitié de my
Et vo servant avoir en remembrance.
Or vous suppli, doulces dames de France,
De prier devotement
Nostre Seigneur pour mon alegement
Et, se je muir, aiez ma tombe chiere
Car sanz retour vois au grand mandement
Se de Dieu n'ay secours a vo priere.
Et s'il convient que je departe ainsy,
Vueillés oïr ma piteuse ordenance !
Je crie a Dieu de mes forfais mercy ;
A mes homs laiz ma petite chevance ;
Le corps aux vers fera sa penitance.
Or ait l'ame sauvement !
Vestez vous blanc pour moy au remenant,
Car de purté porte blanc la lumiere !
Et d'eschapper n'ay espoir nullement
Se de Dieu n'ay secours a vo priere.
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Ballade 70
O Dames, vous que j'ai longtemps servies
depuis qu'Amour m'a donné la sagesse,
vous dont j'ai toujours fait le tendre éloge,
à qui j'ai voué cœur, corps et puissance,
à qui j'ai parlé avec tant d'amour
dans mes joyeuses chansons,
priez pour moi ! Car je vois approcher
ma fin et l'heure du tombeau.
Je vais bientôt payer l'impôt mortel
si vous ne priez Dieu de me venir en aide !
Hélas ! Dès mes quatorze ans et demi
je me mis sous vos ordres.
Vous devriez avoir pitié de moi,
vous souvenir de votre serviteur.
Je vous supplie douces dames de France,
de prier dévotement
Notre-Seigneur d'alléger tous mes maux
et, si je meurs, d'entretenir ma tombe,
car je suis convoqué au Parlement final
si vous ne priez Dieu de me venir en aide.
Et si je dois vraiment partir ainsi,
oyez, oyez ma triste ordonnance !
J'implore Dieu de pardonner mes fautes ;
Je lègue mes maigres biens à mes hommes ;
mon corps chez les vers fera pénitence.
Que mon âme soit sauvée !
Au demeurant, portez pour moi le blanc,
couleur de la lumière pure !
Et je n'ai plus l'espoir d'être épargné
si vous ne priez Dieu de me venir en aide.