Albertus (LXIX à LXXI)

LXIX

Il voyait l'univers comme un tripot infâme ;
- pour son opinion sur l'homme et sur la femme,
C'était celle d'Hamlet, - il n'aurait pas donné
Quatre maravédis des deux. - La créature
Le réjouissait peu, si ce n'est en peinture.
- S'étant toujours enquis, depuis qu'il était né,
Du pourquoi, du comment, il était pessimiste
Comme l'est un vieillard, partant plus souvent triste
Qu'autre chose, et l'amour n'était qu'un nom pour lui.
Quoique bien jeune encor, depuis longues années
Il n'y pouvait plus croire ; aussi dans ses journées
Sonnaient bien des heures d'ennui.

LXX

Il prenait cependant son mal en patience.
- C'est un très grand fléau qu'une grande science ;
Elle change un bambin en Géronte ; elle fait
Que, dès les premiers pas dans la vie, on ne trouve
Novice, rien de neuf dans ce que l'on éprouve.
Lorsque la cause vient, d'avance on sait l'effet ;
L'existence vous pèse et tout vous paraît fade.
- Le piment est sans goût pour un palais malade.
Un odorat blasé sent à peine l'éther :
L'amour n'est plus qu'un spasme, et la gloire un mot vide,
Comme un citron pressé le cœur devient aride.
Don Juan arrive après Werther.

LXXI

Notre héros avait, comme Eve sa grand-mère
Poussé par le serpent, mordu la pomme amère,
Il voulait être dieu. - Quand il se vit tout nu,
Et possédant à fond la science de l'homme,
Il désira mourir. - Il n'osa pas ; mais, comme
On s'ennuie à marcher dans un sentier connu,
Il tenta de s'ouvrir une nouvelle route.
Le monde qu'il rêvait, le trouva-t-il ? - J'en doute.
En cherchant il avait usé les passions,
Levé le coin du voile et regardé derrière.
- À vingt ans l'on pouvait le clouer dans sa bière,
Cadavre sans illusions.