Le plus doux rêve

Mystérieux pouvoir qui fais chanter notre âme
Répands dans mes concerts une plus douce flamme;
Pas de riants accords que ta voix aujourd'hui
Calme l'anxiété de mon précoce ennui ;
Dis-moi l'hymne de flamme et de bonheur suprême
Que chante le poète à la beauté qu'il aime ;
Mais que ton chant soit pur autant qu'il sera doux ;
D'immondes voluptés je ne suis point jaloux;
Donne-moi pour idole une vierge ingénue,
Belle de sa candeur et du monde inconnue ;
Et, le front décoré d'une chaste rougeur,
Qu'elle écoute ces vers échos de mon bonheur :

« Quand on a le bonheur d'aimer,
On croit tout voir en ce qu'on aime
S'épanouir, se transformer ;
On vit en lui plus qu'en soi-même ;
Le chemin s'ouvre et reverdit,
L'horizon changé s'agrandit,
Partout où la vie est poussée,
Et l'on n'a pour chaque désir
Qu'un but où sourit le plaisir,
Où se féconde la pensée.

Tout paraît s'unir pour charmer ;
Les mortels que ce feu consume
Ne se sentent pas consumer ;
Pour eux le bonheur se résume
En un mot, mot du ciel : aimer !
C'est le seul mot que l'oeil annonce
Le seul que la lèvre prononce,
Et qui, par l'oreille écouté,
Soit au fond des cœurs répété.

Le passé, l'avenir s'efface,
Tout, dans ce monde, est en oubli ;
Le soleil comme l'ombre passe ;
Rien sur le front ne creuse un pli ;
Lorsqu'enfin le vent qui moissonne
Emporte, effeuille la couronne
Et précipite le flambeau.
Le trépas garde ce mystère,
Qui, toujours voilé pour la terre,
Ne se révèle qu'au tombeau.

Unis par une sainte chaîne,
Aimons, quand rayonne l'été ;
Aimons, quand d'un voile argenté
Le sombre hiver couvre la plaine.
Qu'en notre âme ferme et sereine
Par un dévouement soit compté
Tout pas du temps qui nous entraîne !

Sans craindre de les épuiser
A des flots purs venons puiser
Les ivresses que le cœur donne ;
Dieu nous réserve dans le Ciel
Pour nos lèvres toujours du miel,
Pour nos fronts, toujours la couronne ;
Car, si, jusques au dernier jour,
La douce foi d'un noble amour
N'a jamais été profanée,
La vie, en changeant de séjour,
Ne change pas de destinée I »

Silence, esprit des vers ! ta parole exaspère,
Au lieu de l'apaiser, mon tourment solitaire ;
Mes doigts ne veulent plus faire vibrer en vain
Ce luth où de l'amour frémit l'accord divin :
Car, séduisant mon coeur par un brillant mensonge,
Si tu me fais ainsi prodiguer pour le songe
Tout ce que j'ai de flamme et de suavité ,
Que me garderas-tu pour la réalité ?