I
Rondeaux rustiques et grivois,
Nés au refrain de la musette,
Écrits à l'ombre, dans les bois
Où j'ai cueilli la violette,
Bon voyage! landerira!
Bon voyage! landerirette!
En ce grand siècle, mes enfants,
Les vers n'étant plus à la mode,
Je vous ai gardés bien longtemps
Dans le tiroir de ma commode ;
Mais ce tiroir, sans doute étroit,
Où vous vous plaisiez tant naguère,
À ce que dit mon petit doigt,
Ne paraît plus vous Satisfaire.
Comme d'effrontés polissons,
Vous voulez visiter le monde,
Faire bondir les pieds mignons,
Courtiser la brune et la blonde.
Vous voulez qu'au temps des amours,
On vous chante sous les tonnelles
Et que les galants troubadours
Vous soupirent aux demoiselles.
C'est, je crois, une folle erreur,
Vous croyez à la renommée,
Pauvres enfants, nés de mon cœur
Et de ma muse bien aimée ;
Vous le voulez, tentons le sort
De ce tiroir je vous délivre
Et signe votre arrêt de mort
En vous enterrant dans ce livre.
Rondeaux rustiques et grivois,
Nés au refrain de la musette,
Écrits à l'ombre, dans les bois
Où j'ai cueilli la violette,
Bon voyage ! landerira !
Bon voyage ! landerirette !
II
L'œil en coulisse et lèvres avinées,
Allant, trottant, le bonnet de côté,
Poing sur la hanche et toutes dépeignées
Comme une fille un jour-de liberté,
O mes chansons ! vous voilà chez Grégoire,
En train déjà de sourire au vin bleu.
Le vin est tiré, faut le boire!
Chansons à boire,
Vous m'oubliez, morbleu !
Eh bien, adieu !
III
Bon ! voici la chanson rustique
Qui s'en va sans façon.
Voir si les gars font la moisson.
Bon ! voici la chanson rustique
Qui part avec ses gros sabots,
Ses chiens, sa charrue et ses faux.
Bon ! voici la chanson rustique
Qui va revoir ses bœufs,
Ses francs et rudes amoureux.
Bon ! voici la chanson rustique
Qui se sauve dans les vallons
Prendre de l'air à pleins poumons.
Bon ! voici la chanson rustique
Qui s'en va vendanger
Et rire un peu chez le berger.
Bon voyage, chanson rustique,
Bonjour à qui vous recevra,
Landerire, landerira !
IV
Et quoi ! vous aussi, chansons amoureuses,
Vous avez, dit-on, pris la clef des champs ;
Ainsi les soupirs de mes nuits fiévreuses,
Une femme aimée un soir de printemps,
Tout enfin sera su de tout le monde,
Vous allez encor citer plus d'un nom ;
Que dira Nandine ?... O ma toute blonde,
Demande pour moi ma grâce à Ninon !
Vous pouvez partir, mes chères coquettes,
Je vous abandonne ; après tout, ma foi !
A votre âge on aime un peu les conquêtes ;
Faites-en beaucoup, mais prévenez-moi.
V
Vivent les ritournelles ;
O gué, les villanelles ;
O gué, dites-moi donc :
Allez-vous aux charmilles
Faire danser aux filles
Un joyeux rigodon ?
N'allez pas aux charmilles
Faire danser les filles,
Restez encore ici,
Non. belles, non parées,
Mais non pas déchirées ;
Moi, je vous aime ainsi.
Non belles, non parées,
Mais non pas déchirées,
Si vous restez chez nous,
Vous n'aurez pas à craindre
Des gens payés pour geindre
Et mal parler de vous.
Vous n'aurez pas à craindre
Des gens payés pour geindre,
Qui vous déchireront
Et vous diront des choses
A faner vos teints roses,
A m'en blêmir le front.
Mais vous voilà parties
Comme des étourdies,
S'en-sauve qui pourra,
Villanelle ou poète.
Adieu! landerirette!
Adieu! landeriral
VI
Folles chansons, rondeaux grivois,
Chansons à boire et villanelles,
Écrits à l'ombre dans les bois,
Aux sons des douces ritournelles,
Bon voyage! landerira!
Bon voyage ! landerirette !
VII
Ah ! bon voyage, à vous enfin,
Chansons des grands jours de colère,
Ou grondent la misère,
Le deuil, la tristesse et la faim !
Allez, vaillantes insurgées,
Réveiller les cœurs endormis
De tant de femmes outragées
Et de tant d'hommes trop soumis !
Allez de la ferme à l'usine,
De la mansarde aux ateliers,
Allez jusqu'au fond de la mine
Crier : Debout ! aux ouvriers.
Allez et portez à la ronde
Ce mot d'ordre à l'humanité ;
Et puisse enfin l'égalité
Faire bientôt le tour du monde !
Ah ! bon voyage à vous enfin,
Chansons des grands jours de colère
Où gronde la misère ;
Et bon courage aux meurt-de-faim !