Quoi ! faut-il dans mon sein que je te fasse lire?
Aux accents douloureux échappés de ma lyre,
N'as-tu pas deviné
Que mes jours sont voilés d'une ombre de tristesse,
Vague pressentiment qui me poursuit sans cesse,
Et me dit qu'à souffrir mon cœur fut destiné?
Eh ! pourquoi me parler de bonheur et de gloire,
A moi, pauvre ignorée à qui rien n'a souri?
A moi qui, dans la coupe où j'aurais voulu boire,
Trouvai le miel tari !
Comme la sensitive aux regards je me cache;
Mais il ne suffit pas d'être pure et sans tache
Pour couler d'heureux jours :
Au désert, la pensée ardente, insatiable,
Qui sonde trop la vie, et que la vie accable,
Fermente dans mon âme, et la ronge toujours!
Parce qu'il est encor des roses sur ma joue,
Et qu'étouffant mes pleurs, je souris et me joue
Du bonheur qui me fuit,
Tu dis, en me voyant : « Cette femme est heureuse!
« Elle pourra calmer ma vie aventureuse,
« Elle pourra répandre un rayon sur ma nuit! »
Ah! si c'est la pitié que ton passé réclame,
J'en ai pour le malheur; viens puiser dans mon âme :
Mais moi, te consoler!
Moi, qu'entoura toujours la froide indifférence,
Ce langage d'amour qu'implore ta souffrance,
Saurais-je le parler !
Puis-je, pour adoucir le mal qui te dévore,
Au songe du bonheur te faire croire encore,
Lorsque je n'y crois plus?
Puis-je à ton cœur brisé conseiller la prière,
Moi qui reste à genoux muette sur la pierre.
Et n'ose plus former des voeux toujours déçus?
Dis-moi, comment prier, quand la vie est sans joie,
Lorsque le ciel, jamais, à nos désirs n'envoie
Les biens qu'avec ferveur nous allions mendier;
Quand l'âme sent toujours un mal qui la déchire,
Quand, au lieu de bénir, elle est prête à maudire,
Dis-moi, comment prier?...
A des jours sans bonheur, non, je ne puis me faire;
Je suis faible à la vie; et, vers une autre sphère
En tournant mes regards, j'ose interroger Dieu ;
Je dis : « Quoi! sans pitié pour une pauvre femme,
« D'amour, de poésie, il a pétri mon âme,
« Et j'ai dû lutter seule avec ce double feu !...
« Seule! sans rencontrer la source où l'on s'étanche!
« Seule! sans une autre âme où mon âme s'épanche!
« Seule! pour admirer, croire, aimer et souffrir!
« Seule! seule toujours!... Si je dois ainsi vivre,
« Avant qu'à blasphémer le désespoir me livre,
« Mon Dieu, fais-moi mourir! .. »
Et pourtant, ce n'est pas que le destin m'abreuve
De ces malheurs puissants qui mettent à l'épreuve
Le poète ici-bas, pour le régénérer,
Et qui, bouleversant son âme indépendante,
Inspirent à sa voix, plus fière et plus stridente,
Des hymnes de douleur si beaux qu'ils font pleurer!...
Àh ! ces nobles tourments, souvent je les envie;
Ils déchirent le coeur, mais font sentir la vie.
Gladiateur sanglant, il est beau de lutter :
A l'homme de génie il faut de grands contrastes;
Après des jours sereins il faut des jours néfastes...
Son âme doit tout refléter.
Il est beau de souffrir comme a souffert le Dante!
Aux cris de Némésis, implacable et mordante;
Il est beau d'imposer silence en l'étouffant!
Il est beau que le Tasse, accusé de folie,
Meure, et lègue un remords à toute l'Italie,
Qui ne le vit pas triomphant!
Comme Homère, il est beau que Camoëns mendie;
Que Corneille expirant fasse une tragédie
Pour obtenir du pain;
Que Milton, en créant son ange des ténèbres,
Ressente tour à tour, dans ses heures funèbres,
Les tourments qu'il dépeint!
Puis, il est beau d'ouïr le jeune Malfilâtre,
Lui qui trouva toujours la nature marâtre,
Chanter la volupté!
Il est beau que Gilbert, mourant dans un hospice,
A ses vers dédaignés laisse pour frontispice :
Génie et Pauvreté !..
Eh ! n'est-ce pas encore une chose sublime
Que la gloire vouée au supplice du crime?
Chénier,* de l'échafaud, volait au Panthéon !...
Sous le glaive, Roland déployait sa grande âme
Fière et belle; Roland est-il un cœur de femme
Qui ne batte d'orgueil en prononçant ton nom !
Et vous, dont les accents réveillaient l'Ausonie,
Vous qu'on a torturés dix ans dans l'agonie,
Noble Marconcelli, sublime Pellico,
Martyrs de liberté que l'amitié rassemble,
À la postérité vos noms iront ensemble ,
Et dans tous les grands cœurs trouveront un écho !...
Oui, j'aime vos malheurs ! Quelle âme assez commune
N'envîrait le génie au pris de l'infortune?
Laissez les jours de joie à des mortels obscurs ;
La douleur est pour vous l'offrande expiatoire
Dont vous avez payé l'auréole de gloire
Qui couvrira vos fronts dans les siècles futurs !...
Comme l'éclair jaillit au milieu des nuées,
Dans les âmes ainsi fortement remuées
Dieu jette quelquefois un regard de merci;
Alors, se dégageant des ombres de la terre,
Leur avide pensée au ciel se désaltère...
Oh! je voudrais souffrir ainsi!
Mais il est des douleurs que le monde méprise,
Dont notre âme se meurt sans quelle soit comprise,
Sans qu'un mot de pitié dit par un être aimé
Vienne cicatriser nos blessures qui saignent :
Par ces tourments secrets que les hommes dédaignent,
Mon coeur est consumé!
Voir pâlir mon printemps comme pâlit l'automne;
Tramer une existence aride et monotone
Où l'amour n'a jamais répandu sa chaleur;
Sans avoir pu goûter les plaisirs de mon âge,
Sans qu'aucun souvenir sur mon passé surnage
Dans l'abîme du temps jeter mes jours en fleur !
L'âme ardente de foi, trouver un siècle athée !
Avant d'avoir joui, vivre désenchantée,
Et garder le désir !
Poursuivre, sans espoir, dans un monde frivole,
Le bonheur idéal, qui sous ma main s'envole
Quand je veux le saisir !
Comme le fer rongé lentement par la rouille,
Comme l'arbuste en fleurs, que le givre dépouille
De bourgeons parfumés,
Voir user, voir flétrir mon âme pure et fraîche
Sous le souffle glacé qui, chaque jour, dessèche
Mes rêves bien-aimés !
Hélas ! ma vie ainsi s'épuise dans l'angoisse ;
Mes plus doux sentiments, qu'on déflore et qu'on froisse,
Demeurent méconnus.
Et dans un cercle étroit, désenchanté, vulgaire,
Je cherche en vain les biens que j'espérais naguère...
Je ne les trouve plus...
Ne pouvant du bonheur pénétrer le mystère,
Que de fois j'ai rêvé ton crime involontaire,
Chatterton, âme ardente à qui la foi manquait !
Comme toi, j'ai senti cette douleur aiguë
Qui nous fait désirer de boire la ciguè
Dans un dernier banquet !
Mais, quand tu te livras à ta pensée amère,
Sans doute, infortuné, tu n'avais plus de mère;
Une mère à la vie enchaîne son enfant ;
Sa vieillesse attiédit notre ardente énergie;
Elle a, pour nous calmer, une douce magie ;
Contre le désespoir son amour nous défend.
Ma mère! à ce nom seul, sur mon âme embrasée,
Je sens toujours couler une fraîche rosée :
Je n'ai trouvé qu'en elle indulgence et douceur;
À mes autres parents je suis presque étrangère ;
Jamais je n'ai connu la tendresse d'un frère,
Ni l'amour d'une sœur :
Jamais les soins touchants, les baisers de famille,
Qu'on prodigue toujours à la plus jeune fille,
N'ont entouré mes premiers ans ;
Et lorsque je parcours ma triste destinée,
Je ne puis évoquer une heure fortunée
Des jours passés aux jours présents.
Cette tendre amitié -, cette étroite alliance,
Douce chaîne d'amour, intime confiance
Qui doit unir le frère et la sœur en naissant,
Embellissaient en vain mes rêves poétiques!
Hélas! lorsque les cœurs ne sont pas sympathiques,
Qu'est le lien du sang?
L'âme seule s'unit à l'âme
Par une indestructible trame
Où les sentiments sont mêlés ;
Puissance d'amour attractive,
Qui, soudain, émeut et captive
Deux cœurs l'un vers l'autre appelés ;
Alors les pensers se confondent;
Alors les accents se répondent ;
Alors la vie est un chemin
Dont deux êtres suivent la voie,
Dans l'infortune ou dans la joie,
Se tenant toujours par la main.
Ce bras où notre bras s'appuie,
Ce regard dont la flamme essuie
Nos pleurs, comme un rayon divin;
Ce souris, bienfaisant dictame,
Enfin cette âme pour mon âme,
Hélas ! je l'ai cherchée en vain.
C'est à toi que je me confie,
Toi, dont l'amour s'identifie
À ceux qui tout bas ont gémi :
Lis, comme Dieu,, dans ma pensée;
Tiens ma main dans ta main pressée,
Ouvre à mon cœur ton cœur ami !...