Sonnet XL
C'est fait, belle Caliste, il n'y faut plus penser :
Il se faut affranchir des lois de votre empire ;
Leur rigueur me degouste, et fait que je souspire
Que ce qui s'est passé n'est à recommencer.
Plus en vous adorant je me pense avancer,
Plus votre cruauté, qui tousjours devient pire,
Me deffend d'arriver au bon-heur où j'aspire,
Comme si vous servir estoit vous offenser.
Adieu donc ô beauté, des beautez la merveille :
Il faut qu'à l'avenir ma raison me conseille,
Et dispose mon ame à se laisser guérir.
Vous m'étiez un thresor aussi cher que la vie ;
Mais puis que votre amour ne se peut acquérir,
Comme j'en perds l'espoir, j'en veux perdre l'envie.
Sonnet XLI
Il n'est rien de si beau comme Caliste est belle !
C'est une œuvre où Nature a fait tous ses efforts,
Et nostre âge est ingrat qui voit tant de tresors,
S'il n'élève à sa gloire une marque éternelle.
La clarté de son teint n'est pas chose mortelle :
Le baume est dans sa bouche et les roses dehors ;
Sa parole et sa voix ressuscitent les morts,
Et l'art n'égalle point sa douceur naturelle.
La blancheur de sa gorge esblouyt les regards ;
Amour est en ses yeux, il y trempe ses dards,
Et la fait reconnoistre un miracle visible.
En ce nombre infiny de graces et d'appas,
Qu'en dis-tu, ma raison ? crois-tu qu'il soit possible
D'avoir du jugement et ne l'adorer pas ?
Sonnet XLII
Beauté de qui la grace estonne la nature,
Il faut donc que je cede à l'injure du sort,
Que je vous abandonne, et loin de votre port,
M'en aille au gré du vent suivre mon aventure !
Il n'est ennuy si grand que celuy que j'endure,
Et la seule raison qui m'empesche la mort,
C'est le doute que j'ay que ce dernier effort
Ne fut mal employé pour une ame si dure.
Caliste, où pensez-vous ? qu'avez-vous entrepris ?
Vous resoudrez-vous point à borner ce mespris,
Qui de ma patience indignement se jouë ?
Mais, ô de mon erreur l'estrange nouveauté,
Je vous souhaitte douce, et toutesfois j'advouë
Que je dois mon salut à vostre cruauté.
Sonnet XLIII
Beaux et grands bastiments d'éternelle structure,
Superbes de matière et d'ouvrages divers,
Où le plus digne Roy qui soit en l'univers
Aux miracles de l'art fait ceder la nature ;
Beaux parcs et beaux jardins, qui dans vostre closture
Avez toujours des fleurs et des ombrages vers,
Non sans quelque demon qui deffend aux hyvers
D'en effacer jamais l'agréable peinture ;
Lieux qui donnez aux cœurs tant d'aimables desirs,
Bois, fontaines, canaux, si parmy vos plaisirs
Mon humeur est chagrine et mon visage triste,
Ce n'est point qu'en effet vous n'ayez des appas ;
Mais quoy que vous ayez, vous n'avez point Caliste,
Et moy je ne voy rien, quand je ne la voy pas.
Sonnet XLIV
Caliste, en cét exil j'ay l'ame si gesnée,
Qu'au tourment que je souffre il n'est rien de pareil.
Et ne saurois ouyr ny raison ny conseil,
Tant je suis despité contre ma destinée.
J'ay beau voir commencer et finir la journée :
En quelque part des cieux que luise le soleil,
Si le plaisir me fuit, aussi fait le sommeil,
Et la douleur que j'ay n'est jamais terminée.
Toute la cour fait cas du séjour où je suis,
Et pour y prendre goust je fais ce que je puis ;
Mais j'y deviens plus sec, plus j'y voy de verdure
En ce piteux estat si j'ay du reconfort,
C'est, ô rare beauté, que vous estes si dure,
Qu'autant près comme loin je n'attens que la mort.
Sonnet XLV
Quel astre malheureux ma fortune a bastie ?
A quelles dures loix m'a le ciel attaché,
Que l'extrême regret ne m'ait point empesché
De me laisser resoudre à ceste départie ?
Quelle sorte d'ennuis fut jamais ressentie
Esgale au desplaisir dont j'ay l'esprit touché ?
Qui vit jamais coupable expier son peché
D'une douleur si forte et si peu divertie ?
On doute en quelle part est le funeste lieu
Que réserve aux damnés la justice de Dieu,
Et de beaucoup d'avis la dispute en est pleine.
Mais, sans estre sçavant et sans philosofer,
Amour en soit loué, je n'en suis point en peine :
Où Calliste n'est point, c'est là qu'est mon enfer.